Evasion fiscale : Le gouvernement bloque en pleine nuit un outil anti-paradis fiscaux

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Mais qu’est-ce qui leur a pris ? Ce fut une nuit de folie à l’Assemblée nationale. A minuit le mardi 15 décembre, la France était dotée d’une arme anti-paradis fiscaux très attendue et qui recevait son deuxième vote parlementaire positif en 10 jours. A une heure trente du matin le mercredi 16 décembre 2015, le vote était annulé par une manœuvre indigne du gouvernement. Pour quel enjeu ?

Une étape clé dans la lutte contre les paradis fiscaux

Il y a 10 jours, l’Assemblée nationale votait positivement en faveur d’un amendement demandant aux entreprises de rendre public, une fois par an, dans chaque pays où elles sont implantées, le montant de leur chiffre d’affaires, le nombre de leurs employés, les profits réalisés et les impôts payés.

Pourquoi ces données sont-elles importantes ? Parce que les paradis fiscaux ne sont pas, contrairement à l’imaginaire public traditionnel, des coffres-forts remplis d’argent. Ce sont des territoires dont les gouvernements vendent la souveraineté aux plus puissants en leur proposant d’écrire les lois qui leur conviennent. Ces lois ont un objectif : découpler, artificiellement, l’endroit où se produit une transaction économique (toucher un salaire, des intérêts, des dividendes, un héritage, réaliser un profit, une plus-value…) et l’endroit où elle est juridiquement enregistrée et donc contrôlée et taxée.

Avec une comptabilité pays par pays, on peut voir si une entreprise réalise du chiffre d’affaires dans un pays mais cumule des profits dans un autre où elle n’a pratiquement pas d’employés, voire d’activité et toutes sortes de bizarreries comptables. C’est une bonne technique pour repérer ceux qui abusent des paradis fiscaux, avant de déterminer comment les sanctionner.

Le G20 a prévu d’obliger les grandes firmes à fournir ces données aux administrations fiscales. Mais à elles seules. Actionnaires, parlementaires, ONG, journalistes, etc., sont exclus de l’information.

Antidémocratique

La nuit dernière, un amendement soutenu par plusieurs députés socialistes et écologistes visant à rendre publiques ces données reçoit de nouveau un vote positif. Comme le racontent les ONG qui sont suivi le débat, le gouvernement demande alors une suspension de séance, réveille ses partisans et fait voter à 1 h 30 un nouvel amendement annulant le précédent.

Surtout pas de données publiques sur les turpitudes fiscales de nos grandes entreprises. Une honte. Sur cette page de l’Assemblée, vous trouverez les noms des députés présents qui ont permis au gouvernement de réussir sa manœuvre (les votes pour) et ceux des 21 députés de gauche qui ont tenté de sauver l’honneur de leur famille politique.

En 2013, la France avait obligé les banques à fournir ces informations et à les rendre publiques. Le Parlement européen lui avait emboîté le pas et toutes les banques doivent désormais communiquer, à tous, ces informations (une analyse des résultats sera bientôt disponible). L’enjeu était d’étendre cette obligation à toutes les entreprises, au-delà du secteur bancaire.

Cette fois, le gouvernement a suivi le lobbying des grandes entreprises, qui sont vent debout contre la mesure, en refusant la transparence. Avec quel argument ? « On n’est pas sûr que tout ça tourne bien », a déclaré à l’Assemblée nationale Christian Eckert, le ministre du budget...

La France s’enorgueillit d’être un pays moteur dans la lutte contre les paradis fiscaux. Cette nuit, c’était plutôt la France du frein moteur !

Christian Chavagneux Article publié sur Altereco+plus le 16 décembre