Foncier Innovant : Quand la langue de bois prend l'eau ...

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Deux articles largement relayés dans la presse sont parus ces derniers jours concernant le Foncier Innovant et ses nombreux ratés. Ces articles avaient été écrits après l’interview, notamment, de plusieurs représentants de la CGT Finances Publiques. Une fois n’est pas coutume, au vu de l’effet tache d’huile de ces articles, la DGFiP a tenté d’y répondre et de se justifier. La réponse nous a semblé particulièrement maladroite, doublée de raccourcis et d’une langue de bois méritant quelques explications.

Sur le coût du projet et l’utilisation de l’argent public, la DGFiP s’est soigneusement abstenue de répondre.

Peut-être les 40 millions d’euros de la rumeur sont-ils en dessous de la vérité ? D’ailleurs, des développeurs WEB nous ont déjà contactés pour comprendre ce qui, dans ce projet, justifie un tel coût…

« L’outil est développé en interne à la DGFiP, qui seule manipule les données et actions vers les contribuables. L’appel à Capgemini et Google se fait sur certaines briques qui sont en open source. Il est donc inexact de dire qu’il est
développé par ces 2 prestataires. » :

La société Capgemini dispose cependant d’un espace de co-working dédié au Foncier Innovant au Service de la Documentation Nationale du Cadastre. Si la DGFiP intervient à un moment dans la gestion des données fiscales, ce sont bien des prestataires externes qui sont chargés d’élaborer un algorithme permettant la détection de matière imposable et le report automatique des piscines et autres bâtiments sur le plan cadastral.

Si la DGFiP veut la transparence, pourquoi a-t-elle toujours refusé de fournir à la CGT les clauses des contrats passés via l’UGAP ?

Comme il semble loin le mois de novembre dernier où un président de groupe de travail de la DGFiP nous expliquait fièrement que l’utilisation de prestataires extérieurs, notamment la société Ingedata basée à Madagascar, n’avait rien de choquant dès lors que les compétences n’existaient pas à la DGFiP… Les personnels concernés apprécieront.

« À ce stade de l’expérimentation, ce sont des lettres de demandes d’information qui sont envoyées aux contribuables » :

Plus exactement, il s’agit d’une « demande de déclaration » à laquelle le propriétaire doit répondre en fournissant la surface de la piscine et sa date d’achèvement. Tous les cas n’ont pas donné lieu à cet envoi ; en effet, dans le cas où la piscine, non taxée, figurait déjà sur le plan cadastral, elle a fait l’objet d’une taxation d’office sans envoi préalable de courrier au propriétaire. À ce stade de l’expérimentation, cela ne présage pas de la suite qui sera donnée à cette pratique.
« C’est à l’issue de ce dialogue que la taxation (ou la non taxation) sera notifiée. Les contribuables auront encore la possibilité de contester et de faire une réclamation. » : Soyons rassurés, les contribuables pourront encore contester lorsque l’algorithme aura généré une taxation à tort, le budget de l’État servira alors à compenser les erreurs issues du Foncier Innovant en remboursant des taxes foncières déjà versées aux collectivités locales. Il reste encore un peu de droit fiscal dans cette administration… et de compétences pour traiter les réclamations.

Inversement, les « redressements » sur les années antérieures sont d’ores et déjà prévus par la DGFiP qui doit procéder elle-même à l’émission des rôles particuliers pour l’ensemble des départements concernés.

Et que dire d’un stade prétendument expérimental qui aboutit à des taxations ? Faut-il préciser aux propriétaires, sur les lettres envoyées, qu’ils sont relancés à titre expérimental ? Cela pourrait donner : « Merci de participer à notre expérimentation. Sauf erreur de notre part, vous nous devez 300 euros par an sur 5 ans…».

« Le % d’erreur évoqué est variable selon les départements et en phase de test. Cela ne préfigure pas du tout les performances finales de l’outil » :

Là, bizarrement, l’administration ne nous a pas contredit sur les 30 % mais on avait volontairement pris la moyenne basse. Ce taux d’erreur est bien pire sur certaines communes (il peut dépasser 70 %), et l’administration s’abstient de répondre parce qu’elle sait que nous avons raison, mais compte bien entériner ce résultat.

De plus, ce taux n’est calculé que sur les piscines détectées : il exclut celles qui n’ont pas été repérées par l’IA.

On peut donc s’interroger sur le respect de l’équité fiscale pour l’ensemble des propriétaires, selon que leur piscine aura été déclarée, taxée d’office ou omise par l’IA.

« Cet outil a été développé pour venir en appui du travail de nos agents, notamment en automatisant certaines tâches et en regardant là où nos géomètres n’ont pas le droit d’aller (à savoir à l’intérieur du domicile du contribuable). Cela leur permet se concentrer sur les missions les plus importantes comme l’analyse et l’évaluation » . En termes de mauvaise foi, on touche le fond.

En application de la loi du 29/12/1892 et du décret 55-471 du 30/04/1955, les géomètres sont habilités par arrêté préfectoral, pour l’accomplissement de leurs missions, à pénétrer dans les propriétés privées.

Leur principale mission est la mise à jour du plan cadastral par des levés effectués sur le terrain. Or, la DGFiP s’attache à « réorienter leurs missions » en limitant au maximum leurs travaux en extérieur et le recours à leur expertise.

Avec l’annonce de 300 suppressions d’emplois dans les services fonciers et l’automatisation de la mise à jour du plan, le Foncier Innovant viendrait parachever cette « réorientation ».

« L’imposition est donc établie sur la base de la déclaration du propriétaire. C’est seulement lorsque ce dernier ne remplit pas ses obligations suite aux opérations de relance qu’une imposition d’office est établie. Le contrôle sur place de la présence ou non d’une piscine taxable est donc réservé aux seules situations où le propriétaire contesterait, pendant la phase contentieuse, le caractère imposable de sa piscine ».

Attachés à une qualité du service public pour tous, nous nous opposons à des impositions « à l’aveugle », même dans l’hypothèse d’un contrôle a posteriori qui, jusqu’à présent, avait lieu en amont de toute taxation.

Les retours que nous avons confirment que la mise à jour automatique du plan cadastral par l’IA est inacceptable, car imprécise, aléatoire et entachée d’erreurs. L’algorithme deviendrait au mieux un outil de détection de piscines des plus coûteux.

Le Foncier Innovant vient absorber un budget qui aurait pu être consacré au recrutement des personnels nécessaires au bon accomplissement des missions cadastrales.

La DGFiP préfère nier l’existence de compétences dans les services qu’elle maintient en sous-effectifs : elle pourra ensuite en faire le constat d’échec.