Maisons France Service, pas une panacée… (article de l'Huma du 15/01/2021)

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Présenté comme la solution ultime au recul massif des services publics, ce dispositif, même s’il limite la casse, masque mal le désengagement de l’État.

Après des décennies de recul massif des services publics sur l’ensemble du territoire, le sujet est devenu brûlant. Il est même devenu une des préoccupations majeures des Français, exprimée notamment par le mouvement des gilets jaunes et lors du grand débat qui avait suivi. L’État a donc sorti de son chapeau, en avril 2019, les « maisons France Service », présentées par Emmanuel Macron comme la réponse idéale aux besoins de service public et au retour de l’État dans les territoires laissés à l’abandon, notamment ruraux. L’objectif, selon le président de la République : « Que dans chaque canton, on puisse avoir un lieu où serait regroupé l’accueil pour le public des services de l’État. » Le tout en s’appuyant sur un dispositif déjà existant : les maisons de service au public (MSAP), créées en 2000 mais véritablement développées depuis cinq ans. La ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, indique vouloir atteindre les 2 200 MFS d’ici à 2022, avec un plan de 200 millions d’euros.

À l’heure actuelle, le gouvernement en décompte 1340, un chiffre qui cache des réalités très disparates. Pour la ministre, l’idée du label MFS est donc d’ « élever leur niveau général avec un panier commun de services », en ciblant les quartiers prioritaires et les territoires ruraux. Dans ce panier commun, la présence d’au moins sept opérateurs principaux (dont La Poste, les différentes branches de la Sécurité sociale, la justice, les impôts), accessible en moins de trente minutes pour toute la population. Mais derrière ces belles vitrines se cachent les nombreuses fermetures qui se poursuivent sur l’ensemble du territoire. Éric Hours, coordinateur de la CGT services publics dans la région Auvergne-¬Rhône-Alpes, pointe les « batailles menées contre la fermeture de bureaux de poste dans le Grésivaudan, les perceptions qui ferment comme à La Mure (Isère), mais aussi des antennes de la CAF ». Le recul se poursuit donc à grande échelle, et le syndicaliste estime que les MFS pourraient « être intéressantes » mais seulement « si elles ont de vraies missions de service public, avec des agents formés et sous statut ».

 Un palliatif pour les usagers »

Même son de cloche chez la sénatrice communiste de Seine-Maritime Céline Brulin, qui se bat depuis plusieurs années contre ces fermetures. Pour elle, ces MFS – 12 doivent très prochainement ouvrir dans son département – donnent « l’illusion d’un renforcement » des services publics, mais cachent une conception bien pauvre de ces derniers. « Souvent, ces points de contact sont un ordinateur sur lequel un agent accompagne les usagers, sans analyse des problèmes de celui-ci », regrette-t-elle. Quant à la CGT du Cher, qui parle d’un « palliatif pour les usagers », elle estime qu’il s’agit d’un « service au rabais qui accompagne la disparition des services publics de proximité et de pleine compétence », rappelant que La Poste maintient l’objectif de 2 805 bureaux fermés entre 2020 et 2024. Selon un rapport parlementaire du sénateur LR de l’Ardèche Jacques Genest, publié le 19 février 2020, l’abandon de l’État est massif : il chiffre « 535 suppressions nettes de trésoreries depuis 2013 », et sonne l’alerte. Car, pour lui, les MSAP d’alors ne peuvent constituer à elle seule une solution, d’autant que « la part du financement prise en charge par les collectivités territoriales est excessive, alors qu’une fraction croissante des services offerts correspond à des démarches concernant des administrations de l’État ». Si même un sénateur de droite pointe le désengagement de l’État au détriment des collectivités… Il faut dire que les chiffres sont implacables : le dispositif des MFS est financé par l’État à hauteur de 30 000 euros annuels, soit peu ou prou le salaire d’un agent. À condition d’employer… au moins deux agents. Sans compter le bâtiment, les frais de fonctionnement.
Reste que ces maisons France Service constituent souvent une amélioration de l’accès aux services publics pour de très nombreux Français. Et que certaines connaissent un réel succès, qui tient d’ailleurs davantage au volontarisme des élus qu’à l’aide de l’État. Exemple avec celle de Lavoncourt, une commune d’un peu plus de 300 habitants en Haute-Saône, mise en place dès 2010 par le maire Jean-Paul Carteret. « L’idée était d’abord de créer un pôle de services », explique l’élu, qui au départ n’avait pas connaissance du possible soutien de l’État. « Un jour, un préfet est passé et m’a dit de demander le label. Cela a permis d’avoir une aide, et surtout de faire revenir des services publics qui étaient partis depuis bien longtemps. »

S’appuyer sur l’offre existante

Outre les 30 000 euros annuels, cette aide comprend aussi la formation des agents. « Bien sûr que l’État se défausse financièrement, poursuit-il, mais on ne peut pas lui reprocher ce qu’il nous donne. Et puis, pour un maire, l’important est de répondre aux besoins de la population. » La MFS de -Lavoncourt est donc un modèle du genre, puisqu’on y trouve, en dehors d’une présence virtuelle des opérateurs de l’État, un ensemble de ce que le maire nomme les « services au public » : des professionnels de santé, une assistante sociale, une association d’aide à domicile et de solidarité, et, depuis un mois, « trois vétérinaires venus d’Espagne ». Ce qui permet, via les loyers de ces professions libérales, de « payer le reste, avec également une part apportée par le centre intercommunal d’action sociale », à laquelle participent neuf communes voisines. Un succès qui repose également sur le fait que la MFS a pu s’appuyer sur un bureau de poste de plein exercice. La preuve, pour Jean-Paul Carteret, que « le service amène le service », comme il le résume d’une formule.

«  Les plus âgés sont perdus »

Mais l’élu pointe toutefois deux problèmes : d’abord, « la superficie retenue, celle des cantons, qui ne correspond pas aux enjeux de proximité en milieu rural, et, d’autre part, la réflexion à mener sur les relations avec les mairies ». Et de donner un exemple très actuel, celui de la vaccination contre le Covid-19 : « Les gens doivent aller sur des plateformes privées, beaucoup de personnes, notamment âgées, sont perdues. » Car, comme le rappelle l’Association des maires ruraux de France, 13 millions de Français éprouvent des difficultés avec le numérique. Or, les MFS sont d’abord un point d’accès virtuel aux services publics. Pour l’élu, l’État devrait précisément s’appuyer sur les mairies et les maisons France Service, qui pourraient organiser la vaccination, recenser les personnes, car « elles sont au plus près de la population ».
Lors d’une séance consacrée au sujet à l’Assemblée nationale, le 13 janvier, le député communiste de l’Allier Jean-Paul Dufrègne, auteur d’un rapport sur les services publics en milieu rural, a estimé que « le dispositif est bon », mais qu’« il ne doit pas être un prétexte pour désengager l’État ». En d’autres termes : « Les MFS doivent venir en complément d’une offre existante. » C’est bien sur ce point central que le bât blesse : toute bonne idée qu’elles soient, ces maisons France Service ressemblent davantage à un emplâtre sur une jambe de bois qu’à une réelle politique de développement des services publics.

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